Comment j’ai hacké Teamlab : Au dela des frontières

Le collectif japonais « d’ultratechnologists » Teamlab investit la section sud de la Grande Halle de la Villette jusqu’au 9 septembre avec l’installation « Beyond limits ». Promettant une immersion complète dans un monde poétique, l’exposition rencontre un franc succès. Gadget tech ou art du futur ?

A l’entrée, on nous distribue un dépliant avec la carte des installations, aux titres dont l’ésotérisme ne risque pas de nous aider à les repérer (par exemple : CROWS ARE CHASED AND THE CHASING CROWS ARE DESTINED TO BE CHASED AS WELL, TRANSCENDING SPACE). La première salle est dédiée à Graffiti Nature, une sorte de cuvette où des animaux se baladent, avec à gauche un coin dessin. Si on colorie une fleur, celle-ci apparaitra auprès des autres ! Malheureusement, on ne peut pas scanner les dessins nous-mêmes (RIP l’interactivité) et je ne verrai jamais ma création projetée (RIP l’ego).

Pas découragée, j’escalade le mur-toboggan qui délimite cet espace, pour aboutir à un grand panneau qui présente des oiseaux sensibles au toucher, changeant leur trajectoire à l’unisson. Puis une pièce où est projetée une sorte de symphonie galactique de traits de lumière qui deviennent des crevettes (ou l’inverse). Sur l’immense façade du fond, la pluie tombe et des roses XXL éclosent. Mouais.

Mais quelque chose opère petit à petit : la force de Teamlab, c’est son flou. On n’est pas face à des vidéos en boucle, ni dans une expérience 100% interactive. On ne sait pas ce que l’on a provoqué, ce qui était prévu, ce qui se répète. On se laisse porter petit à petit, attentif au flot d’images et aux détails imperceptibles qui finissent par former un océan d’images respirant à son rythme.

On peut regretter qu’une telle maitrise technique soit mise au service d’une esthétique inoffensive, dominée par les fleurs, la pluie et les gentils poissons. On peut trouver la musique doucereuse à la limite du supportable. Et on peut hacker le système, en décidant de faire … n’importe quoi. Une salle cachée en fin de parcours, pas la plus populaire, réunit une cinquantaine de panneaux translucides, où dansent et font de la musique des animaux anthropomorphes. Ils se mettent en action bizarrement, dans des mouvements chaloupés et gracieux, sur une musique composée de battements de tambours et petits « ohhhh ahh ». Je décide que je vais imiter les mouvements, panneau par panneau. On n’est pas censés faire ça, j’ai sans doute l’air débile, mais enfin, je m’amuse. Et j’interagis avec l’œuvre, même contre son script.

Quand je me promène à nouveau dans l’espace, je vois les animaux-musiciens entamer une longue procession, perturbant à peine les autres projections. Je suis contente de les voir, c’est magique !

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Ca fait deux heures que je suis là.

Est-ce que c’est moi qui ait détourné Teamlab, ou ces malins de designers qui m’ont ensorcelée ? Est-ce que le côté kitsch de l’expérience est justement ce qui fait son intérêt ? Ce type de projet technophile peut-il être le point de départ de propositions plus dérangeantes ?

Tout ce que je sais, c’est qu’à la sortie, j’avais une furieuse envie de manger du poulpe. Un truc pas mignon du tout, vaguement agressif et surtout très visqueux.